Le 17 juin 2020, la Cour d’appel de l’Ontario a marqué un tournant dans le droit du travail avec sa décision dans l’affaire Waksdale c. Swegon North America Inc. (« Waksdale »).
Cette décision a d’importantes implications pour les employés et les employeurs en ce qui concerne l’un des piliers les plus importants de la relation de travail : le contrat de travail.
Note : Cette décision fait actuellement l’objet d’une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada, et nous mettrons à jour cet article au besoin après la décision sur cette demande.
Mise à jour de janvier 2021 : L’autorisation d’appel devant la Cour suprême a été refusée. La Cour suprême du Canada a décidé de ne pas entendre l’appel et de ne pas renverser la décision.
Le rôle du contrat de travail
Selon les lois de l’Ontario, les employés licenciés sans motif valable ont droit par défaut à un « préavis raisonnable » de licenciement ou à une indemnité équivalente, tel que défini par la common law (c’est-à-dire l’ensemble de la jurisprudence développée par les juges et les tribunaux). La période de préavis raisonnable en common law pour un employé donné est calculée en fonction de l’âge de l’employé, de son ancienneté au sein de l’entreprise, de son niveau de rémunération, de son type de poste et d’autres facteurs similaires. Elle est censée représenter un « pont » entre la fin d’un emploi et le début du prochain emploi comparable, et peut varier d’environ trois à 24 mois de salaire et d’autres avantages.
Cependant, il s’agit d’un droit par défaut uniquement. Les employeurs peuvent « déroger » à cette protection en common law en exigeant des employés qu’ils signent des contrats de travail écrits les limitant à un préavis moins favorable en common law. Or, les tribunaux reconnaissent que les employeurs et les employés n’ont pas le même niveau de pouvoir de négociation lorsqu’il s’agit de négocier ces accords. Par conséquent, les tribunaux exigent que les employeurs rédigent leurs accords très soigneusement et correctement avant de pouvoir s’appuyer sur ces accords pour éviter toute responsabilité envers un préavis raisonnable en common law.
En particulier, les employeurs doivent veiller à ce que leurs contrats de travail respectent toutes les exigences minimales de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario (la « LNE »). La LNE établit des normes minimales en matière de préavis de licenciement et de congédiement, et les employeurs ne peuvent pas « déroger » à ces exigences statutaires minimales. Une clause de licenciement dans un contrat de travail qui semble éluder ces obligations sera considérée comme non exécutoire par un tribunal, et l’employé aura droit à un préavis plus généreux en common law en conséquence.
Clauses de licenciement avec motif valable : la loi avant Waksdale
L’une des exigences de la LNE est que tous les employés ont droit à ses normes minimales en matière de préavis de licenciement et de congédiement, sauf (entre autres choses) si l’employé a commis un « acte répréhensible délibéré, une insubordination ou une négligence délibérée de ses fonctions qui n’est pas insignifiante et qui n’a pas été approuvée par l’employeur » [Règl. de l’Ont. 288/01].
Bien qu’un employé puisse être privé du préavis en common law s’il commet un acte constituant un « motif valable » de licenciement, le « motif valable » n’équivaut pas toujours à un « acte répréhensible » en vertu de la LNE. Par exemple, le cas d’un employé incompétent qui commet des erreurs graves et répétées peut constituer un « motif valable » de licenciement; cependant, si ces erreurs ne sont pas « délibérées », cet employé aura toujours droit au préavis minimal en vertu de la LNE et à une indemnité de départ lors de son licenciement.
Les tribunaux ont depuis longtemps admis qu’un contrat de travail qui tente de priver un employé du préavis minimal et de l’indemnité de départ en vertu de la LNE lors d’un licenciement pour « motif valable » aura des problèmes d’exécution, car une telle clause fusionne de manière incorrecte la norme inférieure de « motif valable » avec la norme supérieure d’« acte répréhensible ». Cependant, les tribunaux ont soutenu que si ce langage inapplicable de « motif valable » est effectivement séparé ou isolé de la clause « sans motif valable » du contrat, un employé licencié sans motif valable ne peut pas soulever les problèmes de validité de la définition de « motif valable » pour annuler la définition de sans motif valable également. En d’autres termes, avant Waksdale, un employé licencié sans motif valable devait identifier des problèmes d’exécution dans la clause « sans motif valable » de son contrat de travail pour accéder aux protections plus généreuses de la common law. Les défauts dans la définition de « motif valable » ne pouvaient aider cet employé que si la définition était contenue dans la même clause ou le même paragraphe, de sorte que les problèmes de définition de « motif valable » infecteraient également la définition de « sans motif valable ».
Waksdale : Fin de la séparation entre les termes « avec motif valable » et « sans motif valable »
Dans l’affaire Waksdale, la Cour d’appel de l’Ontario (« CAO ») a supprimé cette distinction et a statué que les accords de travail avec une définition de « motif valable » inapplicable ne pourront pas restreindre les droits des employés même en cas de licenciement « sans motif valable », même si la définition de « sans motif valable » de l’accord serait parfaitement exécutoire par ailleurs. La CAO a conclu que la clause de licenciement dans un contrat de travail doit être lue dans son ensemble, même si elle est contenue dans différentes sections du contrat.
Dans cette affaire, l’employeur (Swegon) a admis que sa clause de « motif valable » – qui a commis l’erreur de priver les employés des protections minimales de la LNE s’ils commettent un acte constituant un « motif valable » de licenciement, même si un tel comportement ne s’élève pas au niveau de l’« acte répréhensible » – n’était pas exécutoire. Toutefois, l’employé (Waksdale) n’avait pas été licencié pour motif valable. Swegon a donc soutenu que Waksdale ne pouvait pas se prévaloir des erreurs dans la disposition de « motif valable » pour annuler sa disposition parfaitement valable de « sans motif valable » – une disposition qui le limitait aux droits minimaux en vertu de la LNE seulement et ne permettait pas de préavis raisonnable en common law.
Le tribunal de première instance a accepté l’argument de Swegon et a jugé que la disposition de « motif valable » était effectivement séparée de la disposition de « sans motif valable ». En conséquence, il a jugé que même si la disposition de « motif valable » serait inapplicable, on ne pouvait pas dire qu’elle s’appliquait à la manière dont le licenciement de Waksdale a été effectué et que Waksdale devait respecter les limites de la disposition correctement rédigée de « sans motif valable ».
La CAO, cependant, a statué autrement. Dans les paragraphes centraux de son analyse, la Cour a conclu à l’unanimité :
[10] Nous n’accordons pas d’effet à cette observation. Un contrat de travail doit être interprété dans son ensemble et non de manière morcelée. L’approche analytique correcte consiste à déterminer si les dispositions de licenciement dans un contrat de travail, lues dans leur ensemble, violent la LNE. Reconnaissant le déséquilibre de pouvoir entre les employés et les employeurs, ainsi que les protections réparatrices offertes par la LNE, les tribunaux devraient se concentrer sur la question de savoir si l’employeur a, en restreignant les droits de common law d’un employé en cas de licenciement, violé les droits de l’employé en vertu de la LNE. Bien que les tribunaux permettent à un employeur de faire respecter un contrat restreignant les droits, ils n’appliqueront pas les dispositions de licenciement qui sont en tout ou en partie illégales. Dans le cadre de cette analyse, il est indifférent que les dispositions de licenciement se trouvent en un seul endroit dans l’accord ou soient séparées, ou que les dispositions soient par ailleurs liées par leurs termes. En l’espèce, le juge de première instance a erré, car il n’a pas lu les dispositions de licenciement dans leur ensemble et a plutôt appliqué une approche morcelée sans tenir compte de leur effet combiné.
[11] De plus, il importe peu que l’intimé ne se soit finalement pas appuyé sur la disposition de licenciement pour motif valable. Le tribunal est tenu de déterminer la validité des dispositions de licenciement au moment où l’accord a été exécuté; le fait de ne pas se fier à la disposition illégale est sans importance.
[12] Le préjudice associé à une disposition illégale est facilement identifiable. Lorsqu’un employeur ne s’appuie pas sur une clause de licenciement illégale, il peut néanmoins bénéficier de la disposition illégale. Par exemple, un employé qui n’est pas familier avec ses droits en vertu de la LNE et qui signe un contrat comprenant des dispositions inapplicables de licenciement pour motif valable peut croire à tort qu’il doit se conformer à ces dispositions inapplicables pour éviter un licenciement pour motif valable. Si un employé s’efforce de se conformer à ces dispositions dépassant les limites, son employeur peut bénéficier de ces dispositions illégales même si l’employé est finalement licencié sans motif valable selon des modalités par ailleurs conformes à la LNE.
Que cela signifie-t-il pour moi?
Si vous êtes employeur, vous devriez veiller à ce que vos contrats de travail soient rédigés avec soin pour prévoir les droits minimaux en vertu de la LNE en cas de licenciement pour « motif valable » qui ne s’élève pas au niveau de l’acte répréhensible. Vous devriez également réévaluer la responsabilité de votre entreprise à l’égard des droits de préavis en common law en ce qui concerne les employés qui ont des clauses de « motif valable » potentiellement problématiques, même si ces clauses sont « isolées » de la définition de « sans motif valable » de ces contrats de travail.
Si vous êtes un employé qui a été licencié avec ou sans motif valable, vous devriez demander des conseils juridiques même si vous avez un contrat de travail écrit qui semble restreindre vos droits au préavis. Vous pourriez avoir droit à une indemnité de départ plus généreuse en common law.
Peu importe de quel côté vous êtes, nos avocats en droit du travail sont constamment à jour sur la loi et prêts à vous aider. N’hésitez pas à nous contacter au 613 209-7355 ou à l’adresse info@nelliganlaw.ca.